
Tête-à-Tête - Musique21 juin 2018
Tête-à-tête: Molly Nilsson X U.S. Girls
La Suédoise Molly Nilsson et Meg Remy de U.S. Girls se sont interviewées mutuellement alors qu’elles étaient toutes deux en tournée aux antipodes du monde. Lisez ce qu’elles voulaient savoir l’une de l’autre au cours de leur passionnante conversation…

Molly Nilsson: Salut Meg, c’est un plaisir de te rencontrer (bon, sur le web, mais quand même)! Je suis ta carrière musicale depuis plusieurs années maintenant, j’ai perdu le compte. On a beau ne jamais s’être rencontrées, je t’ai vue comme un parallèle de moi-même dans un autre monde. Ça s’est passé comment pour toi? Comment ta musique a-t-elle évolué avec le monde?
Meg Remy : Au fil des années, le regard que je pose sur le monde devient plus nuancé, plus complexe. Mon travail semble suivre la même trajectoire. Alors que j’évolue en tant que personne, mon travail évolue aussi. Je pense que c’est ça le but. Je crois que je « réussis ».
Molly : De tous les aspects de ton travail, de l’écriture à l’enregistrement, de la performance à la vidéo, lequel préfères-tu ? Songes-tu parfois à t’installer dans l’une de ces maisons ?
Meg : Je ne pense pas pouvoir jamais « m’installer » dans un seul médium. S’il y a un seul endroit où je voudrais m’installer, ce serait dans une sphère non commerciale, mais est-ce que ça existe encore ? La mort semble être la seule chose qui échappe à la commercialisation, mais même là ça peut vouloir dire imposer du magasinage à ceux et celles qui restent.
Molly : Penses-tu que l’industrie de la musique est devenue un meilleur environnement pour les femmes ? Où est-elle simplement en train de changer ses manières ?
Meg : Non, je ne pense pas que l’industrie de la musique soit devenue un meilleur environnement pour les femmes. Je pense qu’en général le monde est un endroit hostile, inhospitalier pour nous.
Molly : J’ai lu une entrevue où tu disais parfois écrire du point de vue de différentes femmes fictives, est-ce que ces personnages de femmes de tous les jours continuent de vivre en toi ? Les revisites tu une fois la chanson terminée ?
Meg : Je me sens très connectée à toutes les femmes même si je ne connais que mes propres expériences de la planète. J’ai beaucoup à apprendre des expériences des autres femmes, soit en les imaginant, ou en allant directement à la source. Je ne peux pas me déconnecter d’aucune autre femme (ou humain, ou plante, etc.) sur cette planète. Je pense que nous sommes tous et toutes connectées, peu importe nos choix.
Molly : Je suis en tournée aux États-Unis en ce moment comme soutien ; as-tu des conseils de la part d’une U.S. girl?
Meg : Identifie toujours les issues d’urgence et prépare-toi à courir ou à faire le mort.

~U.S. Girls - Mad As Hell (Official Video)~
Meg : J’avais dix ans quand j’ai eu mes premières règles. Quel âge avais-tu ?
Molly : Je ne peux pas dire que je m’en souvienne exactement. Ma mère est morte quand j’avais dix ans et je suis certaine d’avoir eu mes premières règles après sa mort. Je me souviens de ne pas avoir pu me rapprocher d’elle à ce sujet, de lui en parler et de lui poser des questions sur tout ça. J’anticipais les taches de sang avec une certaine excitation, comme toutes les filles, je m’attendais à une sorte de médaille, mais quand c’est arrivé le « triomphe » était assombri.
Meg : As-tu les yeux surtout fermés ou surtout ouverts quand tu performes ?
Molly : Oh, je les garde ouverts. Peu importe ce que je suis en train de faire. Quand je suis sur scène, je veux rencontrer et regarder le public. J’aimerais ça ne pas avoir à dormir autant. Je ne sais pas comment c’est pour toi, de combien d’heures de sommeil tu as besoin, mais je suis quelqu’un qui a besoin de neuf heures solides sinon c’est tout un bordel, et j’ai toujours envié les personnes qui peuvent dormir peu, parce qu’iels passent plus de temps à avoir les yeux ouverts. Mais rêver, ce n’est pas mal non plus, et quand on rêve, les yeux de l’esprit sont ouverts d’une certaine manière, alors peut-être que ça revient au même.
Meg : Tu voyages partout. As-tu pu apercevoir des changements dans la nature ou le temps qu’il fait depuis les dix dernières années ? Donne-moi des détails.
Molly : Laisse-moi réfléchir. Je suppose que je me serais mieux rendu compte de ce genre de changement si j’étais plus souvent chez moi, là où je connais mieux le climat. C’est aussi là où je suis assez souvent pour remarquer les orages quand ils arrivent, où à quel point la neige se fait rare, même si je reste en place et je l’attends. Je suis chanceuse, je n’ai pas encore vu de changement climatique comme on en fait des histoires. J’ai commencé à jouer en Europe en 2008, et la crise financière venait de leur tomber dessus, je pouvais le voir partout où j’allais jouer, des villes où des jeunes adultes avaient perdu leur travail et se retrouvaient dans la rue. C’était quelque chose que l’on pouvoir voir de visu. Et tant qu’on parle de globe-trotter, je trouve que c’est de plus en plus difficile de justifier tous les voyages que je fais. J’ai tellement pris d’avions au cours des dix dernières années, j’imagine que mon empreinte carbone se voit de la lune maintenant. Avant, j’avais une autre philosophie à propos de tout ça, je voyais le voyage comme une sorte de mission d’apporter moi-même mes chansons au monde entier, et je pensais que la fin justifiait les moyens. Mais maintenant je dois me trouver une autre façon de faire les choses. Je termine les voyages de cette année et après ça je vais mettre sur pied une façon plus écoresponsable de partir en tournée. Après tout, la musique ne devrait pas laisser tant de déchets que ça.
Meg : À quoi rêves-tu pour l’an prochain ?
Molly : L’une des premières choses que j’aie apprises dans la vie c’est de ne pas partager mes rêves par écrit à la légère. Les rêves ne signent pas de contrats, et j’essaie de ne pas les y forcer. J’ai plein d’idées et d’espoirs pour les années qui viennent, surtout un gros, un énorme rêve qui commence tout juste à prendre forme. C’est tout ce que je peux te dire, ha.
Meg : Qu’est-ce que le mot « famille » signifie pour toi ?
Molly : Je pense que « famille » n’est pas un mot que j’utilise beaucoup. Je n’y ai même jamais vraiment trop pensé. Quand j’étais enfant, je me sentais comme si quelqu’un venait de me laisser tomber sur Terre, et que ça y est, j’y étais. « Famille » semblait représenter quelque chose de séparé, de différent de moi. Je devrais reconsidérer tout ça par contre, il y a tellement de choses et de gens et d’endroits qui sont ma « famille » maintenant. Merci d’avoir partagé ce mot avec moi.

~Molly Nilsson - I Hope You Die~
Ne manquez pas Molly Nilsson au Bar Le Ritz PDB le 27 septembre et U.S. Girls au Cinéma L'Amour (!!!) le 29 septembre dans le cadre de POP Montréal!