
Certaines personnes écoutent la musique.
Certaines personnes ressentent la musique.
On peut ressentir la musique par la danse, par la méditation, ou par l’entremise d’énormes caissons de basse disposés dans une valise d’auto qui brassent l’air avec tellement de puissance que l’esprit en vibre.
Et l’air, c’est la passion. La passion, c’est la basse, et l’auto c’est le portail, la poursuite, l’évasion.
On compare toujours la danse à une évasion du réel. Cela se défend, mais nous estimons qu’il s’agit davantage d’une forme de solidarité...

À Beyrouth, les autos s’alignent le long de la corniche, portières ouvertes, et jouent de la musique en direction de la mer. Le son des vagues s’étend sur les plages de synthés noyées de distorsion. Ce rituel a eu lieu en 2012 et 2013, dans la rue, devant les locaux de Home Works. En stéréo, les automobiles lancent leurs moteurs et allument leurs haut-parleurs simultanément. À la foire d’art d’Abu Dhabi en 2014, nous avons fait hurler des chaînes stéréo qui ne jouent fort que dans le désert. À Gwangju, en 2016, les autos se sont pointées en même temps que la floraison des cerisiers, au May 18th Democracy Square, lieu où le soulèvement historique avait eu lieu. De la musique électronique pour les vagues, les gens et les soulèvements. En 2013, à Mannhein, haut lieu de l’automobile, des voitures équipées de gros caissons de basse se sont assemblées dans les stationnements après les heures d’ouverture des magasins et à l’extérieur du Théâtre National. En 2016, des bandes d’amateurs se sont donné rendez-vous à Montréal, à l’immense Orange Julep et au Mies Van Der Rohe, la plus belle station d’essence qui soit. À Détroit, capitale mondiale de l’auto, la fête s’est aussi déroulée dans des stations d’essence ou au White Castle, au coin des rues Warren et Livernois, les vendredis à minuit.
Les routes représentent l’infini des choses.
Sur la grand-route, la basse dérive, la basse migre. La basse a quelque chose de foncièrement humain. Elle s’adresse à notre subconscient et résonne au plus profond de nos êtres. Même si les haut-parleurs n’existent que depuis les années 1930 et les caissons de basse depuis les années 1960, les sonorités qu’ils émettent touchent nos sens les plus primitifs. Et peu de temps après les haut-parleurs, les DJ ont vu le jour. Divers types de musique, notamment le dub et le techno, ont aussi fait leur apparition et nécessitaient de nouveaux types de haut-parleurs et des systèmes conçus pour reproduire ces nouvelles sonorités. Ali Bazooka fabrique des systèmes qui sont gros, volumineux et dont les fils sont visibles. Ce sont de réels « bazookas » numériques du sud de Beyrouth, une appellation populaire désignant les chaînes stéréo puissantes des automobiles conçues pour projeter des sons de synthé modifiés et amplifiés qui s’incarnent dans des chansons de folk rétrofuturiste numérique ou dans du techno. À Gwangju, les systèmes de M. Kim sont épurés et précis. Une des chaînes stéréo appartenait à l’un des chefs du syndicat des métallos, alors nous avons fait jouer un hymne syndical pendant la performance. Les Émirats arabes unis ont des systèmes davantage hollywoodiens, tandis que ceux de Montréal sont plus DIY... Ils sont tous magnifiques.
Des danseurs, des édifices, des gens dans les rues.
La musique s’arrime à l’architecture, comme la danse se colle à la musique.
Si vous écoutez de la musique dans une voiture, l’acoustique sera redevable à la route, à la mer ou à la station d’essence. Dans les automobiles, nous sommes quelque part, alors que dans la musique, nous sommes ailleurs. Ce que nous aimons du bruit, c’est la façon dont nous pouvons nous perdre dedans. Mais cette perte est en réalité une hyperconscience de soi qui se transmue en émotions, et en solidarité.
Automobile: performance de Joe Namy
21 septembre, 19 h. Plus d'info ici.