
Tête-à-Tête - Musique06 déc. 2017
Tête-à-tête: Bonjay
Le duo Bonjay, mariage parfait du dancehall et de la soul, nous est de retour après un hiatus de plus de 5 ans et est paré à regagner nos cœurs une fois de plus. Alanna Stuart et Ian "Pho" Swain ont fait paraître leur musique en tant que Bonjay pour la première fois en 2010 avec leur album Broughtupsy, d'où vous connaissez certainement les chansons Stumble et Creepin'. Un autre extrait de leur catalogue qui a fait fureur était leur reprise de la chanson Jamelia par Caribou. Maintenant, ils ont partagé leur plus récent single Ingenue qui paraîtra sur leur nouvel album attendu au printemps. Ils sont prêts à remonter sur scène et de vivre le prochain chapitre.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la femme qui se trouve sur la photo de votre simple Ingenue ? Est-ce qu’il y a une relation à faire entre elle et la personne dont vous parlez dans la chanson ?

Alanna:
La photo est un portrait de Renelyn Quincot. C’est une vieille âme que nous avons rencontrée il y a quelques années, quand elle avait 17 ans et qu’elle était la protégée de la gang de Maylee Todd. Même en tant qu’ado elle semblait avoir tout compris, une vraie fille de ville. Elle a grandi à Parkdale et a passé son adolescence à organiser des partys dans des galeries improvisées et à aller voir des concerts avec une fausse carte d’identité.
On a rencontré Ren quand elle se baladait avec une copie de Women Who Run With the Wolves comme si c’était sa Bible. Elle se voyait comme un « zygote erroné », « comme cette femme dans la famille qui se sent indomptable, qui n’arrive pas à vivre comme le fait sa famille. »
Renelyn est encore très jeune, mais elle faisait son chemin, et c’était merveilleux de voir ça. C’est inspirant de voir quelqu’un qui a confiance en elle, mais qui accepte aussi d’explorer.
Depuis, elle est devenue commissaire, organisant des évènements allant des expositions d’art communautaires aux cercles de guérison. Elle m’a dit : « Je cherche quelque chose, une fermeté. Je la trouve. Je la trouve encore. »
Et la personne qui est l’inspiration de la chanson ? Ça va rester un secret pour toujours…

D’après ce qu’on sait déjà, vous parlez beaucoup de votre fascination pour les villes dans votre prochain album Lush Life. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui a amené ces réflexions ? Où pensez-vous que vous seriez si les villes n’existaient pas ?
Ian:
Les villes sont probablement la plus grande création de l’humanité. Sinon, pourquoi est-ce qu’on se taperait toute la bullshit qui vient avec ? C’est parce que les villes nous permettent de réaliser des idées nouvelles. Pas juste en musique et en art, mais en science, en entrepreneuriat — en tout. Nous tirons notre inspiration des villes, des gens et des choses que nous n’avons jamais rencontré·e·s. C’est ce hasard qui nous permet de penser autrement, à être autrement.
On a été un peu influencé·e·s par l’autre côté de ma vie. Pour gagner des sous et réaliser cet album, j’ai commencé à travailler comme économiste, je travaille sur des choses comme l’évolution des villes, à me poser des questions comme « D’où viennent les choses nouvelles ? ». Alors ça finit évidemment par déborder sur le côté créatif.
Où est-ce qu’on serait si les villes n’existaient pas ?
Eh bien, nos parents et grands-parents étaient immigrant·e·s, et les villes et leur ambition sont deux choses qui les ont motivé·e·s à venir ici. Donc, sans les villes, mes grands-parents, qui viennent de l’Europe de l’Est, et les grands-parents d’Alanna, qui viennent des Caraïbes, seraient sûrement en train de cultiver la terre dans les champs polonais ou dans les montagnes jamaïcaines, rêvant à ce qui pourrait être.

« J’ai ressenti les résultats sur scène quand j’ai pu sentir le sol sous mes pieds et ma voix résonner plus fort. »
Alanna de Bonjay
Quelle a été la plus grande révélation dans ce retour à la musique après 5+ ans d’absence ? De quelle manière Bonjay a-t-il évolué, ou n’a pas changé depuis ?
Alanna:
Je viens tout récemment de lire une citation de James Baldwin sur le changement :
« Le vrai changement implique la rupture du monde tel qu’on l’a toujours connu, la perte de tout ce qui nous a donné une identité, la fin de la sécurité. »
C’est comme ça que je décrirais ces dernières années. Casser la routine, faire confiance aux autres, et à nous-mêmes, pour cette poussée de croissance créative. J’ai étudié le mouvement à Montréal avec Dana Michel pour me débarrasser de mes blocages mentaux sur scène. Ian s’est torturé avec la théorie musicale dans l’objectif de rendre nos chansons plus émouvantes. Je suis allée en Jamaïque et j’ai joué notre musique dancehall bâtarde pour un public jamaïcain pour la première fois. Ça a été des expériences assez pétrifiantes.
J’ai ressenti les résultats sur scène quand j’ai pu sentir le sol sous mes pieds et ma voix résonner plus fort. Et quand le producteur de Beenie Man m’a dit « Tu n’es pas humaine. Il n’y a personne sur cette planète qui fait de la musique comme ça. Ta musique me transporte dans une autre dimension ! », mon syndrome de l’imposteur est parti.
Donc, les changements sont apparus peu à peu, comme des réalisations graduelles, pas comme des révélations. Mais si révélation il y a eu, c’était celle où nous nous sommes rendu·e·s compte à quel point nous sommes dédié·e·s à la musique. Même après nous être battu·e·s pour nous améliorer, même après avoir pataugé dans l’incertitude, nous ressentons quand même des moments de bonheur quand nous faisons de la musique. Dans ces moments, nous réalisons que nous pouvons faire ce métier, et bien le faire. Alors on le fait.
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